Tiers-lieu : comment un aménagement peut-il faciliter l'engagement ?
Vous réfléchissez à l’élaboration d’un tiers-lieu et vous craignez que ce projet ne s’enferme dans un schéma préconçu ? Vous désirez profondément que chacun puisse trouver sa place dans ce tiers-lieu pour son projet, ses envies ? Que la démarche s’inscrive dans la durée ?
Pour que l’implication de chaque individu soit au centre d’un projet évolutif de tiers-lieu, voici une approche permettant d’élaborer le plan d’usage selon l’engagement. Ainsi le bâti peut-il être porteur de sens et de savoirs, pouvant accueillir toute personne même non familière de cette culture.
Dans cet article, il est question de la cohabitation entre le plan d’usage et les niveaux d’engagement, au service du développement d’un tiers-lieu dynamique et modulable qui parle pour vous.
Comment l’idée est-elle née ?
Avec le concours de la designer Sabine Zadrozynski, j’ai accompagné de juillet 2021 à février 2022 un projet de nouveau lieu partagé dans la commune de Plaine-Haute (22). Lors d’une journée participative regroupant près de 90 participants, nous avons proposé des dispositifs permettant de collecter les besoins et les usages des habitants. Cette matière a permis d’imaginer un scénario et un plan d’usage, pièces maîtresses du cahier des charges.
Notez que pour préserver une grande capacité d’adaptation, il est tout à fait possible d’inscrire cette volonté directement dans le cahier des charges du tiers-lieu. Ce document fait le lien entre les différents interlocuteurs (élus, architecte, artisans, porteurs de projet, etc).
Découvrez l’article dédié pour en savoir un peu plus sur l’exemple de Plaine-Haute.
Comment développer le plan d’usage d’un tiers-lieu selon l’engagement des habitantes et des habitants ?
C’est là qu’a germé l’idée de concevoir un plan d’usage à partir des niveaux d’engagement des participants. C’est-à-dire que le bâtiment lui-même, tout au long de son existence, va faciliter l’implication de chacun dans son organisation et son fonctionnement.
Comment un lieu est-il capable de lui-même de renseigner les curieux, de les guider et de les impliquer en autonomie complète ?
Imaginer l’usage d’un tiers-lieu dès sa conception en tenant compte des niveaux d’engagement, c’est une démarche de co-construction, avec et pour les habitants. C’est une façon concrète de laisser la population d’un territoire exercer son pouvoir de décision.
Au sein d’un groupe, d’une communauté d’usage, je peux choisir de m’engager sur différents niveaux, à différents moments :
- Je prends connaissance ;
- Je m’intéresse ;
- Je participe à la communauté, j’ai des interactions avec elle et le bâti ;
- Je contribue.
Je prends connaissance
Pour motiver l’intérêt des potentiels participants, il est essentiel de bien les informer du projet, de son intention et de sa gouvernance. Il faut qu’à tout instant les informations soient claires et faciles d’accès. Cela peut être à l’aide :
- d’une posture de la communauté ayant la volonté d’aller vers l’extérieur ;
- d’une signalétique, de grands panneaux explicatifs aux abords du lieu, comme au Solilab à Nantes ;
- de la communication en ligne (site Internet, réseaux sociaux) ;
- de la communication papier à l’échelle du territoire concerné, comme un bulletin municipal pour un projet de village ;
- de l’indétrônable bouche-à-oreille.
Le projet suscite mon intérêt, je suis touché !
Je m’intéresse
L’attention des personnes est captée ! Maintenant, l’enjeu est d’accueillir les nouveaux venus de manière autonome et pratique. Comment le bâtiment et la communauté déjà ancrée dans la dynamique collective peuvent donner les clés du lieu et du projet ?
Par exemple, comment communiquer les règles de vie, les événements programmés dans le tiers-lieu, les liens avec la municipalité et d’autres partenaires, etc ? En créant une zone d’accueil, en donnant la possibilité de se préparer un café ? Tout doit être limpide, sans ambiguïté, et permettre aux nouveaux arrivants de se sentir à l’aise et invités à s’engager plus s’ils le souhaitent.
Convivial cet accueil ; je m’intéresse sans écueil !
Je participe
À ce stade, les habitants passent à l’action : ils prennent place dans l’espace, trouvent leurs marques, utilisent les équipements spontanément.
Qu’est-ce que le plan d’usage peut proposer pour maximiser leur autonomie ? Il est possible par exemple de proposer du mobilier modulable dont la signalétique, adaptée à chaque âge, atteste de la disponibilité et de l’accessibilité du matériel à tous les publics.
Le feu vert est donné, je prends part aux activités !
Je contribue
« Est-il possible de proposer une idée, une remarque ? » ; « J’ai réfléchi à tel usage ou à telle activité, est-ce que je peux formuler facilement une proposition ? »
Quand on s’implique dans un lieu, on a parfois envie d’aller plus loin que la simple participation. On souhaite contribuer activement.
Pour faciliter la prise de parole, la mise en route et la collaboration, le tiers-lieu peut aussi être de la partie. En proposant du mobilier adéquat, très modulable et diversifié, et avec l’aide du groupement déjà impliqué, il est possible pour des personnes fraîchement arrivées de comprendre ces enjeux et de réfléchir à leurs propres actions.
Enfin, chaque individu doit pouvoir trouver la juste place qui lui convient, le niveau d’engagement qu’il souhaite, sans culpabilité, et avec la possibilité de passer d’un niveau à l’autre selon ses disponibilités et ses envies.
Je suis venu, j’ai vu, je contribue !
Façonner un plan d’usage selon l’engagement de chacun est une méthode dynamique et hautement participative. Cela permet d’avoir un autre regard sur ce que chaque personne peut apporter au quotidien à autrui, quels que soient sa culture et son vécu.
Quels sont les avantages de ce parti pris ?
Passer par un plan d’usage présente déjà de forts intérêts car il permet d’interroger les usages des futurs participants avant la construction ou la rénovation du tiers-lieu.
Grâce à la prise en compte des niveaux d’engagement de tous dès cette étape préliminaire, il en résulte une proposition laissant libre cours à l’imaginaire, à l’envie, à la spontanéité et facilitant l’engagement. Le plan d’usage ainsi conçu rend visible et lisible un mode de fonctionnement participatif. Le projet du lieu est pensé pour et avec les personnes qui l’utiliseront.
L’expérience de chacun, à chaque instant
Chaque individu se sent légitime de contribuer, de s’impliquer à la hauteur de ses moyens propres, voire de se dépasser, compte tenu de la liberté de mouvement offerte. Le lieu et la programmation, à l’initiative des participants, sont le reflet exact de leurs besoins.
Pour un même besoin, un large panel de solutions existe. Mais pourquoi se conformer à un usage convenu, si une autre solution correspond davantage à la problématique locale ? Cette démarche permet en effet de profiter des idées et des expériences de chaque personne pour proposer la version la plus aboutie d’un projet ou d’une action.
Dépasser les préjugés
À l’élaboration d’un projet si novateur et si multiple qu’un tiers-lieu, une peur, naturelle, peut s’installer au sein du collectif qui initie le projet. Le lieu va-t-il être uniquement un équipement culturel parmi d’autres ? Les habitants vont-ils saisir l’opportunité à nos côtés ? Le projet est-il viable sur le long terme ? Etc.
Penser le plan d’usage selon les engagements de chacun permet de modérer ces angoisses et de donner plus de visibilité au projet sur le long terme. Ainsi, si la population évolue, le tiers-lieu change aussi et s’adapte en conséquence.
S’ouvrir à des personnes différentes
Un autre atout de cette démarche, c’est de pouvoir toucher des gens qui ne sont pas forcément connaisseurs de la culture des tiers-lieux. Elle permet de s’adresser à un public qui n’aurait jamais contribué autrement. Elle facilite l’accès à tous les curieux, même sans connaître le principe au premier abord.
Enfin, un autre point noir est levé grâce à ce fonctionnement voulant faciliter l’engagement : l’administratif ! Nul besoin de remplir un dossier volumineux pour pouvoir contribuer au projet.
Rechercher la cohérence entre le fond et la forme, c’est l’idée-clé d’un projet et d’un lieu où l’engagement, la participation et la contribution sont pensés.
Propos recueillis par Céline Le Briand auprès d’Angélique Robert
Sénario d'usage "Utilisateur"
Camille, Sacha et Alix ont entendu parler du nouveau lieu par des amis.
Ils vont sur internet et découvrent le site qui donne beaucoup d’informations et invite aussi à venir tout moment.
Ils s’y donnent rendez-vous le mardi suivant à 19h , ils trouvent très facilement, il est bien indiqué.
Sacha aime se déplacer à pied et à plaisir à venir par les chemins piétonniers sécurisés qui viennent d’être aménagés.
Camille se gare sur le parking de la mairie et rejoint le nouveau lieu qui est tout proche.
Alix est venu en vélo et trouve un rack abrité ou il attache son nouveau cycle auquel il tient beaucoup.
Le lieu est très vert et joliment aménagé, c’est très esthétique.
Le bâtiment est longé par un petit préau, sur le mur il y a des panneaux qui donnent des informations très utiles, sur le projet, le lieu, son fonctionnement, ce qu’il propose et ce que l’on peut y proposer.
Juste à côté de l’entrée, il y a un grand tableau où des personnes laissent des messages.
Il y a des propositions de rencontres autour de thématiques.
Sur la porte il y a une ardoise,
il est écrit :
le lieu ouvre bientôt
mardi à 19h30
réunion mensuelle de l’association des marcheurs,
vous pouvez utiliser le lieu et aussi si vous le souhaitez vous joindre à nous.
Camille, Sacha et Alix décident d’attendre un peu, ils restent dans la cour qui est très bien aménagée et permet de s’installer confortablement.
Camille remarque qu’il y a un potager, ce qui l’intéresse beaucoup elle n’a pas un terrain assez grand pour pratiquer le jardinage et trouve ça super de voir un si beau potager dans un lieu public. Il y a un tableau juste à côté qui indique ce qui a été fait quand et par qui, clairement ont voit que le lieu vit.
Sacha remarque qu’il y a des rondins, marelles et poutres et se dit que c’est super il pourrait revenir même quand il a ses enfants qui adorent grimper partout, en sachant qu’ils trouveront de l’occupation en l’attendant.
À peine 3 minutes plus tard, Kim et Gwen de l’association de marche arrivent et les saluent chaleureusement. Kim va préparer la salle pendant que Gwen accueille Camille, Sacha et Alix.
Il leur demande comment ils ont entendu parler du lieu et ce qu’ils recherchent. Il les écoute avec intérêt.
A son tour il leur parle du projet,
C’est un lieu ouvert, qui propose des ressources comme des livres, des ordinateurs, des jeux. Il facilite l’implication des personnes qui veulent contribuer à la vie du lieu ponctuellement ou de façon plus régulière.
Certaines personnes proposent de se retrouver à plusieurs pour échanger ou fabriquer autour d’intérêts communs ou pour le fonctionnement du lieu.
Gwen propose de découvrir le lieu…
Le premier espace est très convivial avec beaucoup de plantes c’est un peu une jungle, les matériaux sont naturels, peu ou pas transformés en bois, laine, coton.. il y a du mobilier recyclé
Dans cet espace on peut :
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Dès l’entrée, déposer ses affaires au vestiaire et passer aux toilettes si besoin.
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s’installer à plusieurs sur une très grande table en bois.
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Découvrir l’histoire du lieu en regardant les photos de quand c’était encore une école.
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S’informer sur les activités grâce à l’agenda géant
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Comprendre le fonctionnement du projet et du lieu avec le schéma qui rend visible son fonctionnement.
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Préparer une boisson ou un repas dans la cuisine et s’inspirer ou apprendre à partir des livres de cuisine écrits à destination des enfants et des adultes, novices ou experts; Il y a aussi le cahier de recettes auquel contribuent certains usagers du lieu.
L’espace est ouvert sur un autre plus aéré, il peut être fermé par une cloison amovible, l’ensemble du mobilier est sur roulettes il y a quelques plantes..
On peut :
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Utiliser des ordinateurs portables et des jeux vidéo, s’inspirer et apprendre avec des documents qui parlent de leurs usages, ils sont dans un meuble très pratique reconnaissable grâce à une signalétique simple et claire. Il est possible de les déplacer.
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Utiliser sur place, dehors ou chez soi en les empruntant : des livres, de la musique, des jeux de société, des instruments de musique. Ils sont sur des étagères très accessibles et mobiles.
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Écouter de la musique seule ou à plusieurs grâce au meuble musique qui regroupe aussi les documents qui parlent de la musique que l’on soit petit ou plus grand.
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S’installer confortablement, les assises sont adaptées à différents usages, que les personnes soient jeunes, âgées ou porteuses d’un handicap.
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Déplacer les cloisons, les gradins escamotables, l’ensemble du mobilier est très facile à utiliser
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S’isoler pour lire, écouter une histoire, rêver ou travailler en faisant des petits recoins avec les meubles “cabanes” des cloisons, des tipis…
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S’installer seul ou à plusieurs à l’intérieur ou à l’extérieur avec des petites tables que l’on peut facilement assembler et déplacer.
Ce deuxième espace est ouvert sur un troisième espace qui peut être fermé par une cloison, cet espace est très aéré, le mobilier est modulable et multifonction.
On y trouve différents blocs sur roulettes qui permettent :
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D’organiser une rencontre, un karaoké, visionner un film, danser : il y a un vidéoprojecteur, une enceinte, des micros, des éclairages, un écran et l’indispensable boule à facettes…
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De bricoler grâce à un meuble établi équipé d’outils (aiguille à tricoter, ciseaux, pinceaux, toiles, pistolet à colle, machine à coudre) et de matières (tissus, papier, fil, laine, colle, peinture, perles) et des documents pour s’inspirer et apprendre.
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D’équiper les documents qui se trouvent dans le nouveau lieu médiathèque, concevoir des affiches de la signalétique.
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Des chaises et des tables qui rangées prennent peu de place, se plient et se déplient rapidement et facilement.
Gwen, viens de finir d’aménager la salle pour la rencontre de ce soir. Ça a mis moins de temps qu’il ne l’imaginait !
Ça tombe bien, il avait dans son sac un livre qu’il a fini de lire, il va pouvoir le rendre sur l’automate de prêt/retour.
Il le pose simplement sur l’automate puis sur le chariot qui est juste à côté. Il le conseille à Kim, qui décide de l’emprunter à son tour en passant sa carte et le livre sur l’automate prêt/retour. Des indications très simples montrent comment s’y prendre et chaque personne est formée pour le faire et être autonome dans le lieu.
Petit à petit les membres de l’association arrivent pour la réunion, ils traversent les espaces, certains regardent les nouveautés, les coups de cœur, une personne prend en photo le tableau avec les prochaines propositions d’atelier.
Kim, invite le trio soit à se joindre à leur groupe, à rester profiter de l’espace, ou à revenir un autre jour.
Camille qui aimerait se remettre à la marche décide de s’installer dans un des confortables fauteuils non loin du groupe pour prêter une oreille sans déranger.
Sacha s’installe sur la grande table de la première salle, pour feuilleter la belle collection de livres de cuisine.
Alix s’installe dans le deuxième espace, il ne pensait pas rester aussi longtemps et a besoin de consulter ses mails. Il trouve un espace un peu à l’écart où il peut brancher son ordi et se connecter au wifi, il à trouvé l’endroit idéal pour s’isoler en attendant ses amis.
Il se fait tard, le trio repart en saluant de loin le groupe.
Ils trouvent qu’ils ont fait une super découverte et ne pensaient pas que ce lieu était aussi riche, créatif et ouvert aux besoins des habitants.
Ils ont été bien accueillis et ça leur a donné envie de participer aux propositions et déjà des envies de contribuer au projet germent…
Mais ça, c’est encore une autre histoire …
Et des histoires il y en a beaucoup à écrire avec les Plénaltaise et les Plénaltais et leur nouveau lieu.
Propos recueillis par Céline Le Briand auprès d’Angélique Robert